A la rencontre des artisans | Texte : Caroline Salmon | Photos : Ki-Jai Hackier & Caroline Salmon pour ©ALTDC
Propriétaire(s)/Gérant(s) : Lothar Vilz

Lothar, l’amoureux des bêtes
Aujourd’hui, on va vous parler d’une rencontre, devenue passion, d’amour, de paillettes et même de Sharon Stone… A la table des chefs fait son cinéma…
Lui, il a grandi au milieu des bêtes, il a appris à les comprendre, à leur parler, et elles le comprennent aussi. Stop, ça fait livre de la jungle, ça
Je recommence …
Lui, il a 16 ans, il sait déjà ce qu’il fera de sa vie. Il a grandi entouré d’animaux, ses parents et les générations d’avant vivent de l’agriculture et de l’élevage de bêtes. Les loisirs, il en a peu, le travail de la ferme occupe toute la famille. Il a choisi sa voie, mais pas encore celle qui l’accompagnera sur cette voie.

Les belles limousines
Elle, elle ne sait pas encore qu’elle sera l’élue. Avec les années de croisement divers, elle a évolué pour devenir de plus en plus performante, en s’éloignant de son patrimoine génétique historique.
Lui, il a 19 ans, son père lui propose de reprendre l’élevage familial. C’est à ce moment là qu’il la choisit.
Elle, elle l’attend dans sa jolie robe marron. Elle ne sait pas encore qu’il va faire d’elle une grande dame… tiens, maintenant ça fait Pretty Woman)
Lui, c’est Lothar Vilz, un éleveur comme on aimerait en voir plus souvent, respectueux des bêtes qu’il élève et soucieux d’en tirer le meilleur.
Elle, c’est la Limousine, une race bovine originaire du Limousin, principalement élevée pour sa viande.
Et c’est de leur histoire commune que nous allons parler aujourd’hui.
Quand le jeune Lothar, en 1997, accepte de reprendre l’élevage familial, il le fait à sa manière.
Beaucoup de variétés de vaches ont été poussées, croisées, reproduites de manière à augmenter leur performance: plus de viande en moins de temps. Il n’en a cure. Ce qu’il cherche, c’est une vache la plus saine possible, proche de ce qu’elle était avant.
En étudiant le patrimoine génétique de ses bêtes, en achetant des paillettes de sperme de reproducteurs savamment identifiés, en choisissant comment les accoupler, il arrive année après année à des veaux de plus en plus robustes et de plus en plus équilibrés.

Lorsque nous le rencontrons, il nous explique son périple jusqu’au Danemark où un “repro” (comprenez un taureau reproducteur) est à vendre dans un élevage où il reste cinq bêtes. Il est allé au Danemark rencontrer l’éleveur, qui à son tour est venu voir l’exploitation de Lothar avant d’accepter de lui vendre le taureau. De nombreux kilomètres, de nombreux mois avant la conclusion et une transaction au montant tenu secret pour s’assurer d’ajouter ce taureau et son pedigree à sa famille.
Famille ? Comme il le mentionne en appelant ses bêtes, les vaches, les veaux, les taureaux sont une grande famille, dont il est très fier. Chacun, chacune a d’ailleurs reçu un nom, dont la première lettre est liée à l’année de naissance, comme pour les chats, les chiens ou les chevaux.

Cette grande famille vit à Mürringen, à une altitude de 650 mètres dans à peu près 80 hectares de pâture. Ce n’est pas le toit du monde, mais c’est presque le toit de notre plat pays. L’altitude, l’espace disponible jouent un rôle dans la qualité de la viande (elles sont 130 à se partager un tel espace) mais ce n’est pas tout. La pâture a une très grande variété de plantes. Non content des variétés existantes, Lothar en a semé d’autres afin d’élargir le menu pour ses bêtes. Flouve odorante, cerfeuil sauvage, vesce à épis, plantain lancéolé, oseille sauvage, fenouil des Alpes, c’est surtout la grande pimprenelle qui rend ses prairies intéressantes. La plante étant protégée, ses terres le deviennent aussi, passant natura 2000 et permettant de pérenniser la qualité de ses pâtures, y compris pour qui reprendra un jour l’exploitation.

En compagnie de Lothar & de Fabrizzio Chirico
Lorsque nous avons rencontré Lothar, outre la belle santé de toutes ses bêtes, ce qui frappe c’est de les voir aussi tranquilles. Elles ont une vue à couper le souffle, de la place, mais elles sont surtout en confiance. Cette absence de stress est primordiale pour la qualité de la viande. Lothar nous indique qu’il accompagne ses bêtes de leur naissance jusqu’à l’abattoir, et qu’il lui est arrivé de faire demi tour lorsqu’il se rend à l’abattoir s’il se rend compte qu’un veau est trop stressé. Ceci dit, c’est parfois aussi parce que lui n’est pas prêt qu’il fait demi-tour.

… une fois abattue, la viande mature en chambre froide avec de grands sacs de foin et d’herbes aromatiques.
Attentif au moindre détail, une fois abattue, la viande mature en chambre froide avec de grands sacs de foin et d’herbes aromatiques. La maturation n’excède jamais 31 jours. Car pour lui, une maturation plus longue n’apporte rien. Pour reprendre notre discussion, une vieille charogne, qu’on la mature 15 jours ou 60 jours restera une vieille charogne. Et moi d’ajouter, et donc si la charogne est dure, 60 jours après, on aura une charogne stone (je vous avais promis qu’on parlerait d’elle, nous on en a ri).
Cette approche respectueuse de l’élevage a mis de nombreuses années à être rentable. Lothar a commencé il y a 22 ans, mais pendant 17 ans il a gardé un travail dans l’HoReCa pour pouvoir subvenir à ses besoins. Avec cette conviction inébranlable d’être sur sa voie, que son travail serait un jour payant et reconnu.
Il y a 6 ans plus ou moins, c’est Thomas Troupin, le chef de la Menuiserie à Waimes qui, le premier, découvre le veau de Lothar. Le bouche à oreille ira très vite et de nombreux chefs (dont Sang-Hoon Degeimbre, Clément Petitjean, David Grosdent …) sont allés à sa rencontre pour goûter à cette viande et s’en procurer pour leur restaurant. Soucieux d’un traitement respectueux de sa viande jusque dans l’assiette, Lothar Vilz se rend d’abord dans le restaurant voir comment le chef travaille avant d’accepter de lui vendre une bête.
Il reste quelques bêtes de la cinquantaine produite chaque année qui arrivent en boucherie pour les particuliers, le compagnon d’une nièce de Lothar étant boucher. Mais pour en goûter, le mieux est de vous rendre dans un restaurant qui en propose.

